Des générations de MENUISIERS chez les Carbonneau
Le charpentier dit volontiers :
« Rien de niveau sur la planète »
Mais ça reste un métier honnête
Tu pourrais faire un charpentier.
Les beaux métiers : Gilles Vigneault
Les ouvriers chargés de travailler le bois ont presque toujours été nommés menuisiers même si leur tâche est souvent très diversifiée. Cette appellation est en vigueur en France depuis 1382 et est un dérivé du mot latin minutarius ou minutianus que l’on peut traduire par ouvriers s’occupant de menus ouvrages du bois. Auparavant, les menuisiers étaient désignés ainsi : d’abord huchers parce qu’ils fabriquaient des huches à pain et, ensuite huissiers en raison des huis ou des portes qu’ils construisaient.
En réalité les métiers traditionnels du bois ne se limitaient pas à la menuiserie, surtout dans les régions éloignées des grands centres. En effet, les charpentiers bâtissaient les charpentes des habitations; les constructeurs de navires fabriquaient des barques de pêcheurs ou encore les réparaient; les charrons ou voituriers construisaient des voitures utilitaires pour la ferme ou la promenade. On peut aussi nommer les luthiers qui façonnaient, réparaient et entretenaient les instruments de musique des violoneux qui étaient nombreux dans les régions rurales. Tous travaillaient cette substance dure et solide mais malléable qu’est le bois et pour survivre, ils devaient diversifier leur travail et même souvent devenir les architectes de leurs réalisations.
Dans les années 1860, trois frères Carbonneau, menuisiers de leur métiers quittèrent Berthier-sur-Mer pour s’exiler aux Îles de la Madeleine et sur la Côte-Nord. À l’époque, les échanges commerciaux et de main d’œuvre étaient fréquents car la navigation était importante entre Québec, la Gaspésie, la Côte-Nord et les Îles de la Madeleine.
Hilaire Carbonneau se rendit sur la Côte-Nord et s’installa à Natashquan. En 1860, il épousa Honorine Vigneau à Havre-Saint-Pierre mais leurs onze enfants dont sept garçons naquirent tous à Natashquan. Hilaire Carbonneau est le maître d’œuvre de plusieurs églises sur la Basse Côte-Nord entre autre celles de Natashquan, de Baie Johan-Beetz et de la chapelle de la Providence. Certains de ses fils, dont Étienne et Chrysologue travaillèrent avec lui et continuèrent de pratiquer le métier de charpentier-menuisier. Comme Hilaire Carbonneau était âgé de 73 ans lors de la construction de la vieille école de Natshquan, il est rapporté que ses fils l’assistèrent.
Dans un ouvrage paru en 1979 sur Les artisans traditionnels de l’Est du Québec, deux des petits-fils de Hilaire Carbonneau y sont répertoriés. Il s’agit de Joseph-Alfred Carbonneau, le fils d’Étienne qui, à cette époque ne pratiquait plus le métier de menuisier mais qui avait gardé les outils utilisés par son père et son grand-père. Quant à Odilon Carbonneau, le fils de Chrysologue on mentionne qu’il était plutôt polyvalent en matière de travail du bois. En plus d’exercer le métier de pêcheur, on rapporte qu’il a construit des maisons, des chaloupes et des cométiques, sorte de gros traîneaux à chiens utilisés pour le transport du courrier avant que n’apparaisse la motoneige sur la Côte-Nord. Il a même coulé des monuments funéraires. Il s’est aussi improvisé luthier et fabriqua son premier violon car Odilon Carbonneau était un violoneux réputé à Natashquan. Sa maison était un lieu de rassemblement pour les musiciens du village ainsi que pour tous ceux qui voulaient danser une petite gigue ou un set carré. Aurait-il inspiré Gilles Vigneault pour sa fameuse « Danse à Saint-Dilon »?
En 1867 ou 1868, mon arrière grand-père Jean-Baptiste Carbonneau et son frère Léger arrivèrent aux Îles de la Madeleine pour construire une église à Bassin. Jean-Baptiste était accompagné de son épouse Clémentine Corriveau et de cinq de leurs enfants tous nés à Berthier-sur-mer. Les sept autres naquirent aux Îles par la suite. Quant à Léger Carbonneau, il était accompagné de son épouse Eulalie Guillemette et ses trois fils virent le jour aux Îles. La famille émigra par la suite au New Hampshire.
L’église de Bassin fut terminée en 1873 et l’on rapporte que le fils aîné de Jean-Baptiste, Télesphore Carbonneau participa aux travaux. Malheureusement, ce temple qui avait une solide charpente mais que l’on avait dû rénover quelques années plus tard, fut détruit dans un incendie le 16 avril 1936.
Jean-Baptiste Carbonneau bien qu’il fut nommé député-shérif peu après son arrivée aux Îles, continua à pratiquer le métier de charpentier-menuisier. Certains lui attribuent la construction de la prison de Havre-Aubert mais nous n’avons pu vérifier ces données. Il est certain que la plupart de ses cinq garçons ont pratiqué ce métier à une certaine période de leur vie. Nous avons trouvé dans les procès-verbaux de la Municipalité scolaire des Îles que Eugène Carbonneau, le fils de Jean-Baptiste s’est vu attribuer un contrat pour la construction d’une école en 1896, alors que son père était président de la Commission scolaire. De même, en 1916, Hormidas Carbonneau alors président de la dite Commission scolaire construit une école dont le contrat lui avait été donné en 1914. À l’époque, cette pratique était courante vu la rareté d’une main d’œuvre spécialisée aux Îles de la Madeleine.
Tous les fils de Jean-Baptiste Carbonneau partirent des Îles pour aller gagner leur vie ailleurs. Le seul qui y demeura est mon grand-père Clodomir Carbonneau qui lui aussi était très habile de ses mains et il pratiqua le métier de charpentier-menuisier jusqu’à un âge avancé. En 1941, il rénova et agrandit la maison de Eddy Reid et l’année suivante, ce fut la construction du magasin général de celui-ci. Clodomir Carbonneau était alors âgé de 67 ans. Son fils William travaillait avec lui et par la suite, construisit plusieurs propriétés. Malheureusement sa santé n’étant pas très bonne, il décéda à l’âge de 56 ans.
Autant sur la Côte-Nord qu’aux Îles de la Madeleine, le métier de charpentier-menuisier est devenu « traditionnel » chez les Carbonneau comme chez tous les artisans du bois. Le menuisier contemporain est spécialisé et doit adapter son savoir à la rentabilité. Il n’est plus le maître d’œuvre d’une maison ou d’une église mais un spécialiste qui doit s’ajuster au travail en série.
Pauline Carbonneau
Sources : Les Artisans traditionnels de l’Est du Québec, Les Cahiers du Patrimoine 12, par Bernard Genest, René Bouchard, Lise Cyr et Yvan Chouinard.
Natashquan, le goût du large par Pierre Frenette et Bernard Landry.
Archives de la Commission scolaire des Îles.
Intérieur de l’église de Natashquan |
Maison Saint-Dilon qui regroupe maintenant certains services communautaires. |
Odilon Carbonneau au violon, d’après une reproduction au Musée de La Vieille école à Natashquan. |
Violon fabriqué par Odilon Carbonneau. Collection du Musée de la Vieille école à Natashquan. |
Jean-Baptiste Carbonneau vers 1860. Reproduction d’une photo sur métal. Collection Pauline Carbonneau |
Église Saint-François-Xavier de Bassin construite en 1873 et brulée en 1936. Source : Calendrier-souvenir 2001 « Les églises des Îles… d’hier à aujourd’hui ». |
Maison de Eddy Reid localisée sur le Chemin du Sable à Havre-Aubert I.M. Collection : Nicole Reid. |